Être vertueux, ce n’est pas même, pour Emerson, travailler à extirper ses vices et haïr le mal, car (écoutons une formule capitale) : le mal n’a pas d’existence. Ce qui existe, ce sont des imperfections qui sont la rançon de nos qualités. De Montaigne, qu’il avait lu avec soin, Emerson avait appris que l’imperfection elle-même nous aide. Personne n’eut jamais un sujet d’orgueil qui ne fût en même temps une de ses tares. Personne n’eut jamais un défaut qui ne fût aussi le germe d’une vertu. Nietzsche pensera ainsi que la morale surhumaine consisterait à utiliser toutes les passions mauvaises, tout le mal en nous pour une œuvre de bien glorieusement supérieure à la vertu vulgaire. La vertu médiocre, obtenue par une lutte contre nous-mêmes et qui fait notre habituel mérite, Emerson ne l’estime pas haut. Il ne s’agit pas de mérite : La vertu d’un caractère est sa spontanéité, sa force[1]. L’homme vertueux est celui dans lequel est présente l’âme surhumaine, the Oversoul. Dès qu’elle est présente, tous ses actes sont grands, gracieux, et « fleurissent comme des roses ».
Quand nous regardons les choses de si haut, nous ne pouvons plus estimer un homme ou un acte au nom d’une morale de convention ou au nom d’un impératif. Quel est le devoir, quelle est la contrainte d’opinion qui nous prescrirait la sagesse, la sincérité, la charité, le courage? Ce que nous savons d’un sentiment immédiat, c’est que l’homme sincère, charitable et courageux est davantage un homme que le menteur, le malandrin, le lâche. C’est qu’en lui est présente rame ; et voilà un accroissement positif, une élévation[2]. Un homme ou une société pénétrés de ces principes de vertu, doivent dominer et