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d’une idée abstraite, qui est censée en être la vraie signification. Or, tel est le cas, selon Burckhardt, dans l’architecture et dans la plastique constantiniennes : sous le luxe des matières précieuses, sous la polychromie, sous la dorure et les mosaïques, disparait la simplicité des lignes. Le goût du décoratif l’emporte. L’idée chrétienne asservit l’art à des répétitions nécessitées par l’orthodoxie. La lassitude et le dégoût s’emparent des poètes quand il s’agit de revenir aux mythes dont avait vécu l’antiquité. La virtuosité vide d’une rhétorique tout à fait indifférente à son sujet achève la décomposition dans l’art de la parole, qui tout entier manque ou bien de foi, s’il est païen, ou de forme, s’il est chrétien[1].

De cette sévère appréciation où il faut voir une esthétique réduite à ses linéaments, il n’y a pas une ligne qui ne reparaisse chez Nietzsche, en souvenirs vagues ou en formules presque littéralement pareilles, surtout à la fin de sa période bâloise, où, son wagnérisme se trouvant en ruines, il lui reste le pur et clair regard d’un pessimisme tout intellectuel. Alors on l’entendra dire que « le style surchargé résulte d’un appauvrissement de la force organisatrice[2] », que la dépense immodérée des moyens est, en art, un procédé pour faire illusion sur la richesse vraie. Ce style baroque où versent les arts de la parole, la plastique et l’architecture, et qui procède par le colossal, par la sublimité laide, par le choix des tours rares, des moyens d’expression osés, il le considérera dès lors comme « un défleurissement du grand art » et comme un phénomène naturel, souvent merveilleux, mélancolique toutefois comme une agonie[3].

  1. Burckhardt, Die Zeit Constantins, p. 319, 320.
  2. Nietzsche, Menschliches, II,’447.
  3. Ibid., II, §§ 144, 154.