civilisation grecque les conduisit à une notion nouvelle de toute civilisation. Nietzsche savait que, dans cette étude, Jacob Burckhardt avait une notable avance. C’est pourquoi en 1870, comme un simple étudiant, il vint s’asseoir aux leçons de Burckhardt sur « la grandeur historique » et à son cours d’introduction aux études d’histoire[1]. Toutes les semaines alors ils confrontaient leurs pensées et vérifiaient, par un commun examen des faits, leur conviction doctrinale.
Sur les croyances fondamentales ils étaient d’accord. Un esprit schopenhauérien pénétrait tout l’enseignement de Burckhardt ; mais il y était latent. Burckhardt, au dire de Nietzsche, était de ceux « qui se tiennent sur la réserve par désespoir »[2]. Il lui manquait, disait Rohde plus tard, « la force de nourrir une illusion salutaire »[3]. Il était l’intellectuel, en qui la faculté critique s’est hypertrophiée. Son stoïcisme était très pur, mais un peu passif. Il n’altérait pas la vérité, mais parfois, selon Nietzsche, il la taisait et ne trouvait pas le courage de lutter pour elle[4]. Cette « vérité », ne l’oublions pas, était alors pour Nietzsche, le schopenhauérisme. Burckhardt, plus mûr, distinguait entre la vérité de la science méthodiquement acquise, et la certitude morale des croyances personnelles. Il ne se croyait tenu de s’exprimer que sur ce qu’il tenait pour la vérité scientifique. Il ne se laissa pas entraîner par la fougue impatiente de ses jeunes amis. Son schopenhauérisme le servait, en ce qu’il lui imposait l’obligation scrupuleuse de voir les faits d’un regard clair et avec une intelligence impassible. Mais son pessimisme était littéral et strict, était « désespoir ». De telles croyances sont discrètes, et Burckhardt en gardait la