le reste n’est qu’hypocrisie ou ânerie bourgeoise[1]. » Discerner la quantité de bonheur et de malheur que nous pouvons introduire dans le monde « est donc affaire de supériorité intellectuelle »[2].
C’est une variété de socratisme que l’idéologie, parce que la première condition de la vertu, c’est un savoir, et non pas une croyance : mais ce socratisme n’a rien de commun avec Platon. La philosophie platonicienne qui a toujours entraîné les « âmes tendres », a pour héritière la philosophie allemande, encline à procéder par « emphase ». Ne pouvant satisfaire la raison, elle nous prie « d’avoir de la foi et de la croire sur parole »[3]. L’idéologie s’adresse « aux esprits secs ». Elle prétend raisonner du bonheur qu’elle veut fonder. Elle a pour devanciers : Bayle, Cabanis, Destutt de Tracy et Bentham.
Cette théorie renferme un écheveau de difficultés qu’il ne faut pas éluder ; car le point de départ essentiel de Nietzsche de la seconde manière sera dans cet imbroglio. La science stendhalienne du bonheur est insuffisante à fonder la vertu pour deux raisons : 1o D’une part, cette science ne suffit même pas à nous guider. Son savoir, très sûr jusqu’aux limites où elle voit clair, nous abandonne vite ; — 2o L’idée claire n’entraîne pas nécessairement l’acte ; et l’acte exige un effort de volonté que l’idée n’enferme pas seule. La sensibilité intervient ici ; il la faut toute vive et pourtant maîtrisée. Une âme trop ardente « qui se jette aux objets au lieu de les attendre », n’y donnerait pas sa mesure[4]. Les rêves fumeux du désir insatisfait nous emportent dans l’irréel, où nous ne pouvons rencontrer que le malheur. C’est faute de deux ou trois