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convoiteuses, qui donc aurait le loisir d’accorder son attention au mérite individuel ? Qui serait capable de le distinguer ou qualifié pour en faire l’éloge[1] ? Ou plutôt dans une société toute remplie de conventions malhonnêtes ou dénuées de sens, qui ne considérerait avec hostilité l’homme acharné à se singulariser par une probité, par une raison ou par une délicatesse rétives à tous les mensonges usuels ?

Peu de personnes peuvent aimer un philosophe. C’est presque un ennemi qu’un homme qui, dans les différentes prétentions des hommes et dans le mensonge des choses, dit à chaque homme et à chaque chose : « Je ne te prends que pour ce que tu es ; je ne t’apprécie que ce que tu vaux. » Et ce n’est pas une petite entreprise de se faire aimer, avec l’annonce de ce ferme propos[2].

Nietzsche a connu ces avanies de la foule. Il a subi les nécessités de son métier de psychologue, les fréquentations douteuses, les familiarités suspectes, sans avoir le cynisme profitable d’accepter la vulgarité de la « règle », Nous aurons à expliquer ses plaintes éloquentes et toute la satiété assombrie qu’il a eue de son commerce avec les hommes[3].

Pourtant la ressource de faire tête à la meute avec un orgueil stoïque peut nous manquer. Chamfort l’avait prévu : et là encore il prépare Nietzsche. Il ne suffit pas toujours à « l’homme d’un vrai mérite » de chercher à éviter les contacts fâcheux. Il faut les fuir, comme Alceste, sans les raisons qui rendent Alceste ridicule. Il n’y a pas de place pour un philosophe dans une société qui veut ployer sous sa loi la pensée à la fois et les caractères, sauf à laisser mourir de faim ceux qui lui résistent. Quel refuge alors, si ce n’est de tracer autour de soi un grand

  1. Maximes et Pensées, p. 311.
  2. Ibid., p. 307.
  3. Jenseiits, § 26. {W., VII, 44.)