qu’il faut flatter et suivre, sous peine d’être combattu par elle à mort.
Pour avoir une idée juste des choses, il faut prendre les mots dans la signification opposée à celle qu’on leur donne dans le monde[1].
Parle-t-on d’un misanthrope dans le monde ? Il faut entendre qu’il s’agit d’un philanthrope vrai. D’un « mauvais Français » ? C’est sûrement quelque bon critique dénonçant certains abus monstrueux. D’un homme « calomnié comme philosophe » ? Ce doit être un homme simple qui sait que deux et deux font quatre. Prendre le contrepied de l’opinion admise, revenir sur cette falsification de tous les faits réels et de tous les mouvements du cœur, s’en retourner à ce que la nature commande, ce sera pour Chamfort notre chance principale de tomber juste ; mais n’est-ce pas là ce que Nietzsche appellera un jour le « renouvellement de toutes ces valeurs » ?
II. — Ayant subi des souffrances identiques, Chamfort et Nietzsche cherchent un réconfort à leur dégoût social et le redressement des torts causés à l’élite (et à eux-mêmes), dans un orgueil aussi haut, aussi calme, aussi tranquille et aussi capable de grandir l’homme que la vanité flagorneuse du préjugé social était incertaine et basse. Ce livre des aphorismes de Chamfort, non surabondamment fournis, mais où il y a quelques étincelantes pierreries, Nietzsche l’a aimé surtout pour les pensées qui glorifient le philosophe et le solitaire. La mélancolie de Nietzsche est plus dolente, plus prête aux effusions lyriques ; celle de Chamfort, plus disposée au laconisme amer. Leur fierté est égale. Le portrait du grand silencieux, méditatif dans sa révolte tranquille, et qui du fond de sa
- ↑ Pensées et Maximes, p. 307.