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CHAPITRE V


CHAMFORT



Nietzsche a aimé Chamfort pour la raison qui le rendait cher à Stuart Mill. Il voyait en lui « un La Rochefoucauld du xviiie siècle, mais plus noble et plus philosophe »[1]. Il l’a aimé un peu pour la joie de l’avoir découvert ; car, en 1875, Chamfort était presque aussi étranger à la France que Stendhal[2]. « La postérité, avait écrit Arsène Houssaye, n’a ouvert sa porte à Chamfort qu’à la condition qu’il laissât ses livres sur le seuil. »

Le portrait tracé de lui par Nietzsche dans Frœhliche Wissenschaft immortaliserait Chamfort, s’il en était besoin. Nous connaissons mieux par lui cet homme, « riche en profondeurs, en arrière-plans de l’âme, sombre, souffrant, ardent, ce penseur qui trouvait le rire indispensable comme un remède contre la vie »[3]. Nietzsche s’étonne que Chamfort ait pu être français. Il lui trouve je ne sais quelle sombre passion italienne, et une étrange ressemblance avec Dante et Léopardi parce qu’en mourant il avait dit à Siéyès : « Je m’en vais enfin de ce monde où

  1. Wille zur Macht, § 772. {W., XVI, 205.)
  2. Rappelons que Prévost-Paradol dans ses Moralistes français ne consacrait aucune étude à Chamfort. Arsène Houssaye, toujours préoccupé de réparer les oublis de la gloire, avait réédité ses Œuvres précédées d’une Étude sur sa vie et son esprit, 1837.
  3. Frœhliche Wissenschaft, § 95 {W., V, 126j