tesse de cette ère de Louis XIV finissante qui a caché tant de misère sous un si somptueux décor. L’explication est plus élémentaire : Schopenhauer lui-même s’est nourri de cette sagesse drue, claire et désabusée, où il s’est fait son style et où il a appris l’art caustique de l’analyse. Philosophiquement, il y a cependant quelques différences. Fontenelle ne croit pas que l’intelligence travaille au service d’une volonté qui, dans l’obscurité, lui dicte ses jugements. Il a pour la raison moins de dédain moral et aussi moins de considération intellectuelle que Schopenhauer. Il la tient pour très digne de confiance, mais il croit que la nature n’a recours à elle que rarement. Outre les jugements rationnels, les tendances obscures au fond de nous en amènent donc à la lumière de la conscience une foule d’autres où la raison n’a aucune part. Fontenelle juge que ce n’est pas là un mal, puisque c’est une nécessité d’action. Il y a une extrémité pire que de se tromper de chemin, c’est de demeurer immobile. La traversée des régions que la raison n’a pas explorées, peut réserver des surprises agréables, des trouvailles de bonheur rare, des actions utiles. Le doute pur, s’il prétend nous faire attendre la certitude rationnelle, nous immobilise sur des mers où règne un calme plat, éternel. La nature a donc à son service bien des forces qui valent mieux que la raison :
1o Elle se sert des passions. « Ce sont les passions qui font et qui défont tout. » Leur souffle gonfle notre voile, et, au hasard de les voir se déchaîner en tempêtes, il nous faut préférer à l’immobilité la navigation aventureuse qu’elles nous préparent[1].
2o Elle se sert des préjugés. La raison, surchargée d’un petit nombre de besognes considérables, dont elle
- ↑ Érostrate, Dialogue cité, p. 69.