Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« l’opinion qui détruisait celle du peuple » ; 3o mais il estime qu’il faut « détruire maintenant cette dernière proposition et montrer qu’il demeure toujours vrai que le peuple est vain, quoique ses opinions soient saines ; parce qu’il n’en suit pas la vérité où elle est, et que, la mettant où elle n’est pas, ses opinions sont toujours très fausses et très malsaines »[1]. Pareillement, le rythme d’une triple démarche règle toutes les démonstrations de Nietzsche. Ce n’est pas dans des antinomies que sa pensée se meut, comme celle de Kant, ni en synthèses qui construisent les idées en les délimitant, comme Hegel. Sa critique destructive, comme celle de Pascal, cherche la raison d’être profonde des idéals. Pour cela, il les met à l’épreuve du doute. Il n’en est pas un qu’il n’ait détaché des racines illusoires qui le retiennent dans la croyance établie. Puis, la discussion en met à nu les racines réelles. Pas un idéal, même parmi ceux qu’il hait le plus, le christianisme, l’ascétisme, la moralité altruiste, qu’il n’ait « réhabilité » pour les services qu’il peut rendre encore à la cause de la civilisation supérieure, bien que ces services ne soient jamais ceux qui le justifient au regard de ses croyants.

Muni de cette méthode qui ruine les préjugés, sans cesser de les reconnaître psychologiquement nécessaires, Pascal plaçait l’homme devant la réalité naturelle et devant la réalité sociale : et il demeurait effrayé de cette confrontation. L’univers matériel et l’univers social sont également un remous de forces démesurées. Il s’agit de prendre pied dans cette immensité dangereuse, d’y découvrir des points fixes, quelques récifs où établir ces cabanes provisoires : la connaissance et la moralité. Voilà

  1. Ibid., V, 2.