réel vrai. Nietzsche s’emploie donc à chercher les conditions métaphysiques sous lesquelles se justifie l’héroïsme.
Mais alors, comment n’y aurait-il pas aussi une manière d’héroïser et de justifier métaphysiquement l’amour ? Immense lacune dans Schopenhauer. Mieux qu’un autre, ce philosophe a reconnu que les amants cherchent l’un dans l’autre ce qui les complète ; qu’ils travaillent obscurément à réaliser une image de perfection humaine. La griserie, qui pour chacun d’eux idéalise l’objet aimé, n’a-t-elle pas de l’analogie avec l’extase platonicienne devant les idées ? Comment Schopenhauer n’a-t-il que des sarcasmes pour cette illusion mystique ? C’est, dit-il, que l’amour, en perpétuant la vie, jette dans le monde la semence impérissable de la douleur. Est-ce une raison pour nier la valeur de l’illusion d’amour, quand elle n’aurait duré qu’un instant ? Parmi les bévues de l’hypocondrie schopenhauérienne, il n’en est pas de plus sombre. Elle aurait suffi à jeter Nietzsche dans les bras du musicien qui a chanté la noble douleur de Tristan et d’Yseult. Puis, une fois converti à Lamarck, il découvrira que cet idéalisme de l’amour peut être artiste à sa façon. Il croit à une force plastique inhérente à l’image chère entrevue dans la passion, et il écrira les paroles fameuses : « J’appelle mariage la volonté à deux de créer l’être unique qui dépassera ceux qui l’ont créé[1]. »
Schopenhauer, au contraire, persiste dans la méfiance qui calomnie la vie. Une image embellie par l’amour lui paraît impure et lui fait peur. Où donc cherchera-t-il la génialité morale ? Il ne met sa créance que dans un esprit détaché du vouloir-vivre. Le chef-d’œuvre de cette intelligence est de se figurer autrui présent en nous, totalement, de souffrir en tous les misérables plus que de
- ↑ Zarathustra {Werke, VI, 103).