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Un des voyageurs à tour de rôle devait monter la garde, pendant que les autres dormiraient. Le sort tomba d’abord sur le licencié : il s’y soumit sans enthousiasme.

La chaleur était étouffante ; les moustiques bourdonnaient et piquaient avec un acharnement croissant ; les mendiants ronflaient au dehors et soupiraient en rêvant : « Miserabili ! Eccellenza ! »

— C’est beau de voyager, pensa le licencié, seulement il ne faudrait pas avoir de corps à soigner. Si l’esprit pouvait s’envoler tout seul et laisser le corps se reposer !… Partout où je me trouve, je sens en moi ce même vide inexplicable. Je voudrais quelque chose de mieux que les jouissances matérielles de la vie ; mais quoi ?… Quel est ce trésor ?… Et où le chercher ?… N’importe, enfin ! je voudrais posséder le bonheur suprême !

Et à peine eut-il prononcé ces mots, qu’il fut transporté dans sa chambre. De longs rideaux blancs pendaient aux fenêtres ; au milieu de la pièce était placé un cercueil, et, dans ce cercueil, le licencié dormait du sommeil éternel.

Son vœu était exaucé : le corps reposait, l’esprit voyageait.

« Mieux vaut être assis que debout ; mieux vaut être couché qu’assis ; mieux vaut être mort que vivant. » Ainsi parle un proverbe oriental, et c’est bien dit, du moins quant au dernier point, par la raison toute simple que la mort n’est que le commencement de l’immortalité et que l’infini vaut mieux que le fini. Il n’y a rien là qui n’eût été conforme aux sentiments du licen-