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— Oui, mais une chaîne qui vous garde de la misère ; vous n’avez pas à penser au lendemain, et, dans vos vieux jours, vous êtes sûrs d’avoir du pain.

— N’importe, la position d’un poëte doit être remplie d’agréments. Personne ne vous morigène ; vous êtes maître absolu de vos actions. Vive l’indépendance ! Si vous saviez ce que c’est que de rester cloué toute la journée à son bureau !

Le poëte secoua la tête ; l’employé fit de même, et ils se séparèrent, gardant chacun leur opinion.

— Ce sont des êtres à part, ces poëtes ! pensait le bureaucrate. Je voudrais bien avoir leur organisation ; je suis sûr que je composerais de superbes élégies. Pour un poëte, le printemps ne cesse jamais de courir. Le ciel est brillant et limpide. Des nuages argentés se balancent sur l’azur comme sur les flots la voile, comme les rêves dans l’âme heureuse. Partout la verdure réjouit le regard, et l’air est rempli de parfums qui pénétrent jusqu’au cœur… Jamais, non, jamais je n’ai senti comme en cet instant le bienfait de la vie et les charmes de la nature !

Ce soliloque suffit pour nous démontrer que le vœu de celui qui s’y livrait avait été exaucé, et que l’employé était devenu poëte.

Il continua sa route en se remémorant ses premières années d’enfance chez sa bonne et vieille tante, lorsque, l’hiver, il traçait de petits ronds sur les vitres glacées, en contemplant la perspective qu’offrait à ses yeux le canal avec ses navires. Il se rappelait quel ravissement il avait éprouvé à voir, malgré le froid, une petite violette pousser et fleurir dans sa chambre. Il songea en-