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coup à raconter, mais le faux-col plus que pas un. Il n’y avait pas de plus grand fanfaron.

— C’est effrayant combien j’ai eu d’aventures, disait-il, et surtout d’aventures d’amour ! mais aussi j’étais un gentleman des mieux posés ; j’avais même un tire-bottes et une brosse dont je ne me servais guère. Je n’oublierai jamais ma première passion : c’était une petite ceinture bien gentille et gracieuse au possible ; quand je la quittai, elle eut tant de chagrin qu’elle alla se jeter dans un baquet plein d’eau. Je connus ensuite une certaine veuve qui était littéralement tout en feu pour moi ; mais je lui trouvais le teint par trop animé, et je la laissai se désespérer si bien qu’elle en devint noire comme du charbon. Une première danseuse, véritable démon pour le caractère emporté, me fit une blessure terrible, parce que je me refusais à l’épouser ; enfin, ma brosse à cheveux s’éprit de moi si éperdument qu’elle en perdit tous ses crins. Oui, j’ai beaucoup vécu ; mais ce que je regrette surtout, c’est la jarretière... je veux dire la ceinture qui se noya dans le baquet. Hélas ! il n’est que trop vrai, j’ai bien des crimes sur la conscience ; il est temps que je me purifie en passant à l’état de papier blanc.

Et le faux-col fut, ainsi que les autres chiffons, transformé en papier. Mais la feuille provenant de lui n’est pas restée blanche : c’est précisément celle sur laquelle a été d’abord retracée sa propre histoire.

Tous ceux qui, comme lui, ont accoutumé de se glorifier de choses qui sont tout le contraire de la vérité, ne sont pas de même jetés au sac du chiffonnier, changés en papier et obligés, sous cette forme, de faire l’aveu