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Voilà que de gros nuages s’étaient amoncelés ; un terrible ouragan approchait. Les fleurs des champs avaient, les unes, fermé leurs corolles, les autres se penchèrent dès que le vent commença à souffler ; mais le sarrasin resta droit, comme un piquet, toujours gonflé d’orgueil.

« Courbe donc ta tête comme nous, lui crièrent les fleurettes.

— Cela, c’est bon pour vous, chétives créatures, répondit-il fièrement.

— Courbe ta tête, comme nous, crièrent le seigle, l’orge et l’avoine. L’ange des tempêtes n’est pas loin ; ses ailes de feu sont immenses, elles rasent la terre. Gare à ceux qui font mine de le braver.

— Je ne m’inclinerai pas ! répéta le sarrasin.

— Couche-toi au plus vite, dit le vieux saule. Les éclairs se suivent, toujours plus terribles ; le tonnerre gronde. Ne regarde pas en l’air quand les nuages crèvent et que la foudre éclate : les hommes eux-mêmes ne peuvent pas supporter cette vue ; elle les rend aveugles.

— Ah ! les hommes n’osent pas fixer l’éclair, s’écria le sarrasin dans sa folle superbe ; eh bien, moi, j’aurai le courage de regarder droit lorsqu’à travers l’éclair on peut voir le fond des cieux ! »

Et, en effet, au moment où s’élança le plus fort coup de foudre, celui qui mit le feu au clocher de l’église, le sarrasin se tenait toujours debout, la tête braquée vers le ciel.

Lorsque le soleil reparut, les fleurs, les plantes se redressèrent ; elles étaient toutes rafraîchies, rajeunies par l’ondée bienfaisante. Mais le sarrasin était tout noir ; la foudre l’avait frappé, et la marque devait lui en rester toujours.