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se séparent, j’éclatai en sanglots. Deux braves femmes qui étaient à côté de moi essayèrent de me consoler et me dirent que ce qui se passait sur la scène n’avait rien de réel, que c’était spectacle, pure fiction. L’une d’elles, pour me calmer, m’offrit une grosse tartine avec du saucisson. Moi qui ressentais pour tout le monde la plus naïve confiance, je me mis à leur raconter que ce n’était pas, au fond, sur les aventures de Paul et de Virginie que je m’apitoyais, mais sur moi-même : je regardais le théâtre comme ma Virginie, et, séparé de lui, je deviendrais certainement aussi malheureux que Paul. Elles me considérèrent avec des yeux étonnés, et ne parurent pas comprendre du tout ce que je leur disais.

« Je leur expliquai pourquoi j’étais venu à Copenhague, ce qui m’était arrivé, et combien je me trouvais abandonné. Les bonnes âmes me bourrèrent alors de tartines, de gâteaux et de fruits.

« Le lendemain, je payai mon compte à l’auberge, et, à mon extrême chagrin, je m’aperçus qu’il ne me restait, en tout, qu’un écu. Il fallait, ou bien m’embarquer immédiatement pour retourner à Odensée, ou me mettre en apprentissage. Je m’arrêtai à cette dernière alternative, car, me disais-je, de toute manière, si je retourne chez nous, je devrai apprendre un métier, et, de plus, chacun se moquera de ma malheureuse équipée.

« Toutes les professions m’étaient indifférentes. Je n’en prenais une que pour gagner de quoi vivre et demeurer à Copenhague. J’achetai un journal pour lire les annonces ; j’y vis qu’un menuisier demandait un apprenti. J’allai le trouver, et le lendemain matin j’entrai à l’atelier. Mais les ouvriers et les autres apprentis tenaient de si vilains discours que moi,