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dessus tout. Elle me demanda quel rôle je pensais pouvoir remplir. « Cendrillon, » répondis-je. J’avais vu cette pièce à Odensée, et j’avais été tellement frappé du rôle principal, que je l’avais retenu par cœur. Je priai la danseuse de me laisser ôter mes bottes qui me gêneraient pour bien jouer la légère Cendrillon. Puis, prenant mon chapeau en main et tapant dessus comme sur un tambourin, je me mis à danser et à chanter un des grands airs de cet opéra. Je tournais avec une merveilleuse agilité. Mes gestes devaient être des plus bizarres. La danseuse me prit pour un fou et s’empressa de me congédier.

« J’allai trouver le directeur du théâtre pour lui demander de m’engager. Il me répondit que j’étais trop maigre : « Donnez-moi seulement cent écus de gages, dis-je, et je me charge d’engraisser. » Il prit alors un air sérieux et me dit qu’au théâtre il ne fallait que des personnes qui eussent de l’instruction.

« Je demeurai, après ce double échec, plongé dans l’affliction la plus profonde. Je n’avais pas une âme à qui demander conseil ou consolation. Je pensai un instant qu’il ne me restait plus qu’à mourir ; mais aussitôt mes idées se reportèrent vers Dieu, et, avec la pleine confiance d’un enfant, je m’assurai en son assistance et en son secours. J’avais pleuré tout mon soûl : j’essuyai mes larmes, en me disant : « Quand cela va tout à fait mal et que tout semble désespéré, c’est alors que le bon Dieu nous vient en aide. N’est-ce pas ce que j’ai lu si souvent ? Il faut souffrir avant de devenir quelque chose. »

« Rasséréné, j’achetai un billet de théâtre pour le paradis. On donnait Paul et Virginie Au moment où les deux amants