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le théâtre que je suis né, pensai-je ; c’est sur les planches que je deviendrai célèbre. » C’est pourquoi Copenhague était devenu le but de mes désirs. J’entendis beaucoup parler du grand Théâtre Royal. On me dit qu’on y voyait un genre de pièces qui s’appelait ballet et qui était encore au-dessus de l’opéra. On me cita la vogue de la première danseuse ; Mme Schall. Cette artiste m’apparut comme la reine du théâtre, et dans mon imagination je décidai que si je pouvais obtenir sa protection, mon avenir était assuré. Rempli de cette idée, j’allai trouver un des notables de la ville, le vieil imprimeur Iversen, qui, je le savais, avait eu de nombreuses relations avec les acteurs du Théâtre Royal. « Il doit connaître cette danseuse, me disais-je, il voudra bien, me donner une lettre pour elle, et Dieu fera le reste. »

« Le vieillard qui me voyait pour la première fois m’écouta avec beaucoup d’affabilité, mais il me déconseilla fortement mon entreprise et me dit d’apprendre plutôt un métier. « Ce serait un grand péché, » répondis-je avec une assurance qui le surprit. Ce que je lui dis encore acheva de le gagner. Il ne connaissait pas personnellement Mme Schall ; il me donna cependant une lettre de recommandation pour elle ; je me croyais tout près du but.

« Ma mère fit un petit paquet de mes effets et alla parler au postillon pour qu’il m’emmenât à Copenhague en me faisant asseoir sur la banquette. Le voyage ne laissa pas de coûter trois écus. Le jour du départ arriva. Ma mère toute désolée me conduisit jusqu’à la porte de la ville. Là se trouvait déjà ma vieille grand’mère ; ses beaux cheveux étaient devenus tout gris. Elle me pressa sur son cœur en pleurant, sans pouvoir prononcer une parole. Moi aussi j’étais