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fectionner un miroir qui avait une merveilleuse propriété : le beau, le bien s’y réfléchissaient, disparaissaient presque entièrement ; tout ce qui était mauvais et déplaisant ressortait, au contraire, et prenait des proportions excessives. Les plus admirables paysages, par ce moyen, ressemblaient à des épinards cuits. Les hommes les meilleurs et les plus honnêtes paraissaient des monstres ; les plus beaux semblaient tout contrefaits : on les voyait la tête en bas ; les visages étaient contournés, grimaçants, méconnaissables ; la plus petite tache de rousseur devenait énorme et couvrait le nez et les joues.

« Que c’est donc amusant ! » disait le Diable en contemplant son ouvrage. Lorsqu’une pensée sage ou pieuse traversait l’esprit d’un homme, le miroir se plissait et tremblait. Le Diable enchanté riait de plus en plus de sa gentille invention. Les diablotins qui venaient chez lui à l’école, car il était professeur de diablerie, allèrent conter partout qu’un progrès énorme, incalculable, s’accomplissait enfin : c’était seulement à partir de ce jour qu’on pouvait voir au juste ce qu’il en était du monde et des humains. Ils coururent par tout l’univers avec le fameux miroir, et bientôt il n’y eut plus un pays, plus un homme qui ne s’y fût réfléchi avec des formes de caricature.

Ensuite, plus hardis, ils se mirent à voler vers le ciel pour se moquer des anges et du bon Dieu. Plus ils montaient et s’approchaient des demeures célestes, plus le miroir se contournait et frémissait, à cause des objets divins qui s’y reflétaient ; à peine s’ils pouvaient le tenir, tant il se démenait. Ils continuèrent de voler toujours plus haut, toujours plus