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surant que cette branche était cueillie à un arbre de la même espèce que l’arbre dont avait été faite la croix de notre Sauveur. « Retourne maintenant chez toi en suivant la rivière, me dit-elle, si ton père doit mourir cette fois, tu rencontreras en chemin son esprit. »

« On peut aisément s’imaginer quelles furent mes angoisses et ma terreur, lorsque, superstitieux comme je l’étais, je suivais le bord de l’eau. « Tu n’as vraiment rien rencontré ? me demanda ma mère. — Non, » répondis-je. Bien que je fusse rassuré pour mon père, mon cœur battait à se rompre.

« Le surlendemain, mon père mourut ; je restai avec ma mère à veiller son corps toute la nuit. Le grillon du foyer ne cessa pas de faire entendre son cri-cri que le peuple considère chez nous comme la plainte d’un ami : « Il est bien mort, dit ma mère en s’adressant à la bête invisible ; tu l’appelles en vain ; la Vierge des glaces l’a emporté. »

« Je compris ce qu’elle voulait dire. Je me rappelai que l’hiver précédent, nos fenêtres étant gelées, mon père nous y avait montré une figure ressemblant à une belle Vierge. Elle tenait ses bras ouverts. « Elle vient pour m’enlever ! » dit-il en plaisantant. Maintenant qu’il gisait là inanimé, ma mère s’était souvenue de ces paroles. Il fut enterré au cimetière de Saint-Canut, près de la porte latérale de gauche. Ma grand’mère planta des roses sur sa tombe. Aujourd’hui il y en a deux de plus au même endroit, et déjà elles sont recouvertes d’une herbe épaisse.

« Après la mort de mon père, je restai entièrement abandonné à moi-même. Ma mère travaillait au dehors, lessivait pour les autres. Moi, je restais seul à la maison avec mon petit théâtre ; je cousais des robes pour mes poupées et je lisais des