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toufles en maroquin, et que mon corps est de liège espagnol ?

— Très-bien, répliqua la toupie, mais moi-même remarquez que je suis toute en acajou. L’auteur de mes jours n’est autre que le bourgmestre de la ville en personne ; dans ses heures de loisir, il s’amuse à tourner toute sorte de jolies choses, et je suis son chef-d’œuvre.

— Est-ce bien vrai ce que vous dites là ? reprit la balle un peu radoucie.

— Que je ne reçoive plus jamais de coups de fouet, si je mens ! répondit la toupie.

— Vous savez habilement vous faire valoir. Mais, voyez-vous, la chose est impossible. Je suis à peu près promise à une hirondelle. Chaque fois que je vole à travers les airs, elle met la tête hors de son nid et me fait une déclaration de tendresse. Intérieurement, j’ai depuis longtemps consenti à me donner à elle, et nous sommes à moitié fiancés. Ainsi je ne puis vous écouter ; mais j’attache un grand prix à vos sentiments, et, je vous le promets, jamais je ne vous oublierai.

— C’est quelque chose sans doute, soupira la toupie affligée, mais cela ne suffit pas à me consoler. »

Ce furent les dernières paroles qu’elles échangèrent. Le lendemain, le petit garçon prit la balle et la fit sauter en l’air. Elle volait comme un oiseau. La toupie la perdit un moment de vue.

La balle revint de nouveau pour être relancée. Chaque fois qu’elle touchait à terre, elle faisait un bond surprenant, soit qu’elle voulût sauter jusqu’au nid de l’hirondelle, soit que ce fût tout simplement l’effet du liège espagnol.

À la neuvième fois, elle resta en route, on ne la revit plus.