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bien des années. Depuis on a mangé bien des boisseaux de sel, comme l’on dit, et il est naturel qu’on ait un peu soif. Le fait est, continua Marthe en souriant de sa plaisanterie, que le bourgmestre avait invité beaucoup de monde. Au dernier moment, il eût bien voulu décommander le dîner ; mais il était trop tard, les mets étaient achetés et préparés. Voici ce que j’ai appris par le domestique : il y a quelques instants est arrivée une lettre annonçant que son plus jeune frère est mort à Copenhague :

— Mort ! » s’écria la laveuse, et elle devint elle-même pâle comme un cadavre.

— Oui, mais d’où vient que vous paraissez prendre tant à cœur cette nouvelle. Ah ! en effet, c’est que vous l’avez connu du temps que vous étiez à la maison.

— Comment ! il est mort ! Il avait l’âme si noble ! c’était la bonté et la générosité mêmes. Parmi les gens de sa classe, il n’y en a pas beaucoup comme lui ! »

Les larmes, pendant qu’elle parlait ainsi, coulaient le long des joues de la blanchisseuse.

« Oh ! mon Dieu, tout danse autour de moi ! reprit-elle. Serait-ce parce que j’ai vidé la bouteille ? Sans doute, j’en ai pris plus que je ne puis supporter. Je me sens toute indisposée. »

Elle s’appuya contre une planche.

« Seigneur ! reprit l’autre femme, vous êtes tout à fait malade. Tâchez que cela se passe. Allons… Mais point, je vois que vous êtes sérieusement prise. Le mieux est que je vous ramène chez vous.

Mais cette lessive-là ?

— J’en fais mon affaire. Venez, donnez-moi le bras. Votre