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sang jaillit presque de dessous mes ongles, mais je le fais volontiers pour t’élever honnêtement, mon cher garçon. »

En ce moment survint une femme un peu plus âgée, pauvrement vêtue. Elle avait une jambe à moitié paralysée et un œil aveugle ; elle ramenait sur cet œil une grande boucle de cheveux pour cacher cette infirmité, mais on ne la remarquait que mieux. C’était une amie de la blanchisseuse. Les voisins l’appelaient Marthe, la boiteuse à la boucle.

« N’est-ce pas une pitié, dit-elle, de te voir peiner ainsi dans l’eau glacée ? Certes, tu as bon besoin de te ranimer un peu, et pourtant les mauvaises langues te reprochent les quelques gouttes que tu bois. »

Elle répéta le beau discours du bourgmestre à l’enfant ; elle l’avait entendu en passant, et elle avait sur le cœur qu’il lui eût ainsi parlé de sa mère ; « cet homme sévère, qui fait un crime de quelques gorgées d’eau-de-vie prises pour se soutenir dans un travail pénible, continua-t-elle, donnait ce jour même un grand dîner avec toutes sortes de vins capiteux et de liqueurs fines. Deux ou trois bouteilles par convive. C’est plus qu’il n’en faut assurément pour calmer leur soif. Mais on n’appelle pas cela boire, à ce qu’il paraît ; ce sont des gens convenables ; mais toi, on dit que tu te conduis mal !

— Ah ! il t’a parlé, mon enfant ? dit la blanchisseuse, et ses lèvres tremblaient de douloureuse émotion. Tu as une mère qui ne se comporte pas bien. Peut-être a-t-il raison, mais il n’aurait pas dû le dire à l’enfant. Bien des chagrins me sont déjà venus de cette maison-là.

— Vous y avez été en service autrefois, reprit l’autre femme, lorsque vivaient les parents du bourgmestre, il y a