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ma langue, et quand je voulus m’exercer à écrire, j’écrivis une tragédie. Guldberg la lut, et la condamna d’un trait de plume. Je me remis aussitôt à l’œuvre, et dans l’espace de huit jours j’en écrivis une autre que j’adressai à la commission théâtrale. Quelque temps après, M. Collin, directeur du théâtre, m’engagea à passer chez lui. Il me dit que ma tragédie ne pouvait être jouée, mais qu’elle annonçait des dispositions, et qu’il avait obtenu pour moi une bourse dans un gymnase de petite ville.

« Dès ce moment, j’entrai dans la vie sérieuse. J’allais chercher l’instruction dont j’avais besoin, j’allais poser les bases de mon avenir. Jusque-là je n’avais eu qu’une existence incertaine et hasardée : je devais marcher désormais par un sentier plus ferme. Je le compris, et je remerciai M. Collin avec toute l’effusion d’un cœur reconnaissant. Mais le temps que j’ai passé à cette école, où j’entrai par une faveur, spéciale, est celui qui me pèse encore le plus sur le cœur : jamais je n’ai tant souffert, jamais je n’ai tant pleuré. J’avais dix-neuf ans ; je commençais mes études avec des écoliers de dix ans, parmi lesquels je ne pouvais trouver ni un camarade ni un ami. J’étais seul dans la maison du recteur, et cet homme semblait avoir pris à tâche de m’humilier, de me faire sentir à toute heure le poids de ma pauvreté et de mon isolement. Que Dieu lui pardonne d’avoir traité avec tant de barbarie l’orphelin sans défense qui lui était confié ! Pour moi, je lui ai pardonné depuis longtemps, et je me souviens sans colère et sans haine qu’il a fait pour moi ce qui me semblait impossible : il m’a fait regretter les