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continuelle, et, s’il se brise, je suis sûre que mon chagrin ne se borne pas à la perte de cet objet. Il en fut ainsi pour madame d’Abrantès. Lorsque son petit flacon fut brisé devant moi, j’en éprouvai une souffrance inexprimable, comme le pressentiment d’une catastrophe. Dans la vie parisienne, on ne peut pas voir tous les jours ceux qu’on aime le mieux, et, malgré ma profonde et sincère affection pour la duchesse, il se passait quelquefois une ou deux semaines sans que je pusse aller la chercher, à cette époque où je donnais souvent des ouvrages au théâtre et où elle ne sortait pas. Cependant j’avais été rassurée depuis notre dernière entrevue sur l’état de sa santé, car je l’avais rencontrée un soir à l’Opéra ; elle y était joyeuse et parée, et nous y causâmes fort gaiement.

Je courus rue de Navarin le lendemain matin du jour où son petit flacon avait été cassé ; j’arrive un peu troublée par mon triste pressentiment, et j’apprends avec effroi que depuis huit jours elle avait quitté son appartement, que tout y avait été vendu par d’impitoyables créanciers, et qu’étant très-souffrante elle s’était réfugiée dans une maison de santé hors de Paris, qu’elle y était morte loin de