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taux, la subordination de l’Église et de la religion au pouvoir civil semble un gage de liberté politique, aussi bien que de liberté intellectuelle. L’histoire nous en fait douter. L’exemple de la Russie et de l’empire grec inclinerait plutôt à croire le contraire. À Moscou, de même qu’à Byzance, si l’Église orientale a contribué à la stagnation intellectuelle et au despotisme politique, c’est précisément par sa dépendance de l’État, parce que, ne pouvant lutter avec le pouvoir civil, elle le laissait sans contrepoids ni frein. Tandis qu’en Occident les conflits des deux pouvoirs, dont les Russes se félicitent d’avoir été affranchis, laissaient un champ ouvert aux libertés intellectuelles ou politiques, aux revendications de la pensée et aux droits des gouvernés, en Orient le pouvoir civil, n’ayant aucun rival pour le contenir, avait moins de peine à devenir absolu. L’autorité civile, étayée de l’autorité religieuse, pesait à la fois sur les âmes et sur les corps. Pour soulever ce double poids, il eût fallu des forces surhumaines. Le spirituel et le temporel étaient plus ou moins confondus, les ordres du prince s’imposaient comme les ordres de Dieu, et les prescriptions de l’Église, érigée en institution d’État, se renforçaient à leur tour de toute l’autorité du prince. En ce sens, on peut dire qu’à Moscou, aussi bien qu’à Byzance, si la religion n’a pas créé l’autocratie, la religion l’a rendue possible en ne lui opposant pas de barrière. Dans un pays catholique, avec une hiérarchie ecclésiastique ayant au dehors un chef indépendant, l’autocratie ne pouvait naître ou ne pouvait durer. L’Église, tant qu’elle n’eût pas été écrasée, lui eût fait obstacle. Par là, le catholicisme, qui, par d’autres côtés, semble moins propice à la liberté, en favorisait davantage l’éclosion. Comme nous l’écrivions ailleurs, le catholicisme est, pour ainsi dire, libéral malgré lui, parce qu’il marque une borne à l’omnipotence de l’État, que le souverain s’appelle empereur ou peuple, que ce soit un prince divinisé par l’adulation ou une multitude enivrée à son tour