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de leur Église sont d’accord avec ses panégyristes. « À l’heure qu’il est, écrivait un homme qui connaissait la « pravoslavie » pour y avoir été élevé, la plus étrange anarchie règne dans l’Église russe[1]. Pourvu que vous approchiez des sacrements à la première ou à la dernière semaine du Carême, aucune autorité ecclésiastique ne s’avisera de vous demander ce que vous croyez ou ne croyez pas. Vous pouvez rejeter les dogmes les plus essentiels ; tant que vous ne vous exclurez pas vous-même de la communion de l’Église, elle ne vous exclura pas. » Cette dernière assertion du prince russe, mort dans la Compagnie de Jésus, peut bien paraître outrée, car tout orthodoxe reste tenu en conscience de conformer sa foi aux décisions des conciles et des Pères. Il n’en est pas moins vrai que, les conciles n’ayant pas tout défini, ni les Pères tout prévu, et la controverse ou l’exégèse moderne passant souvent par-dessus les anciennes querelles théologiques, la foi orthodoxe jouit d’une latitude qu’il est difficile de lui enlever. Sous ce rapport, comme sous plus d’un autre, l’Église gréco-russe n’est pas sans ressemblance avec l’Église anglicane ; et encore celle-ci, avec ses 39 articles, a-t-elle peut-être en réalité des frontières doctrinales mieux délimitées.

En Russie, comme en Angleterre, cette liberté de mouvement dans les terres vagues de la foi n’est pas également goûtée de tous les esprits. Quelques-uns en souffrent au lieu d’en jouir. Certaines âmes ont besoin d’une autorité sur laquelle s’appuyer, qui leur affirme qu’elles sont dans le vrai et leur épargne les angoisses du doute. Pour elles, l’incertitude religieuse, même en des matières secondaires, est comme une terre molle où l’on enfonce, sans pouvoir marcher ni se tenir debout ; il leur faut un sol ferme, résistant, qui ne manque jamais sous leurs pieds. À de pareils esprits l’Église gréco-russe semble

  1. Le P. Gagarine : L’Église russe et l’Immaculée Conception, p. 51.