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La liberté de l’esprit est-elle un élément de progrès, ce n’est pas à ce point de vue que la foi grecque le cède à la foi latine. Si, aujourd’hui, les Orientaux peuvent tirer parti de cette latitude théologique, il est difficile de n’y point voir dans le passé une cause, ou mieux un signe d’infériorité. Cette immobilité dogmatique, devenue comme un garant de liberté, provenait d’une espèce de somnolence. Elle a été un des effets de l’engourdissement spirituel qui a, pendant des siècles, paralysé l’Orient. Si la Grèce chrétienne, en son premier âge, si éprise de spéculations et d’abstractions, a cessé de disputer et de raffiner sur le dogme, n’est-ce point que, sous le joug turc, succédant au despotisme byzantin, son génie épuisé avait perdu le goût des hautes recherches, pour se réduire à de vaines subtilités ou s’absorber dans un étroit et minutieux formalisme ? Si la Russie moscovite ou pétersbourgeoise n’a point creusé les abîmes de la haute théologie, se bornant à conserver pieusement le dépôt de la tradition, n’est-ce point que l’esprit russe n’a jamais eu le goût de la métaphysique ? que le sol russe n’a pas engendré plus de théologiens que de philosophes ? que les Origène, les Athanase, les Grégoire, perdus par les Grecs, Moscou ne les a jamais possédés ? L’Église orientale s’est-elle figée dans son dogme, c’est que la chaleur de sa jeunesse s’était refroidie.

Un brillant et parfois paradoxal apologiste de l’orthodoxie orientale, Khomiakof, s’est plu à montrer dans le catholicisme romain et dans le protestantisme un principe commun, développé en sens opposé. Ce que le slavophile russe reprochait à la fois à Rome et à la Réforme, sous le nom de rationalisme latin, c’est le goût des déductions logiques, des définitions, des abstractions, sans voir que pareil goût a été un des principes de la philosophie et de la science modernes, aussi bien que de la scolastique et de la Réformation. Quand tout penchant analogue disparut de l’Église byzantine, le monde orthodoxe perdit un des ferments du progrès en des temps où la pensée humaine