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Ne serait-ce pas l’infériorité de ces peuples qui a fait celle de l’Église ? À nos yeux, ce sont des influences extérieures, indépendantes de la religion comme de la race, qui ont arrêté ou ralenti la culture des nations orthodoxes. La longue stérilité de l’Église tient à la stérilité des peuples, et l’une comme l’autre vient des lacunes de leur éducation séculaire.

La faute vulgairement attribuée à l’Église orientale doit, pour une bonne part, être rejetée sur les destinées politiques de ses enfants, sur une histoire tourmentée, incomplète et comme tronquée ; et, à son tour, la faute de l’histoire retombe sur la géographie, sur la position de toutes ces nations orthodoxes aux avant-postes de la chrétienté, dans les régions de l’Europe les moins européennes et les plus exposées aux incursions de l’Asie[1].

À Byzance, comme aujourd’hui en Russie, le principe des maux dont souffrit l’Église fut peut-être plutôt politique que religieux. Au lieu de créer le despotisme stationnaire du Bas-Empire, l’orthodoxie en fut la première victime. Le schisme des deux Églises accrut le mal en séparant l’Orient de l’Occident, où l’élément classique et l’élément barbare s’étaient mieux fondus. L’isolement géographique fut aggravé de l’isolement religieux. C’est par là surtout, c’est par la rupture avec la grande communauté chrétienne du moyen âge que les Russes, les Bulgares, les Serbes ont vu leur civilisation souffrir de leur religion. Abandonnés de l’Occident, parfois même assaillis par lui, les peuples du rite grec succombèrent sous les barbares de l’Asie : leur développement national en fut interrompu pour des siècles.

Ce n’est point en elle-même qu’est la cause première de la longue infériorité de l’Église gréco-russe vis-à-vis de l’Église latine ; ou, du moins, ce n’est ni dans son dogme, ni dans sa discipline ou ses rites, c’est dans le schisme, dans le schisme dont l’Orient a bien autrement pâti que

  1. Voyez t. I, livre IV, chap. i et ii.