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des Russes fera à l’orthodoxie une large part dans ces conquêtes[1].

Ses fidèles ne sauraient le nier, cette grande Église n’a pas, dans l’histoire de la civilisation, tenu une place comparable à celle du catholicisme latin. À cet égard, il y a eu une fâcheuse coïncidence entre l’Église orthodoxe et la race slave. Notre culture européenne se fût aisément passée de l’une comme de l’autre, tandis qu’on ne saurait, sans la mutiler, lui retrancher la part des protestants ou des catholiques, des peuples germains ou des latins. Cette frappante infériorité, dont la Russie a doublement souffert, est-elle réellement le fait du culte ou le fait de la race ?

On a souvent discuté la supériorité relative des nations protestantes et des nations catholiques ; on n’a guère mis en doute l’infériorité des peuples du rite oriental, et on en a toujours rendu la religion plus ou moins responsable. En Occident, catholiques et protestants ont cherché dans l’orthodoxie byzantine la principale raison du retard de l’Est sur l’Ouest de l’Europe. On a vu dans cette Église un principe d’engourdissement, une façon de narcotique ; on a fait de cette forme orientale du christianisme une sorte d’islamisme stationnaire frappant d’immobilité les peuples qu’il retenait en ses liens.

Dans cette question, on nous semble avoir pris l’effet pour la cause ; on a oublié que les religions n’agissent point sur une matière inerte, que, si les peuples sont souvent formés par leur culte, les cultes sont encore plus souvent ce que les peuples les font. Au quinzième siècle, l’infériorité de l’Église d’Orient est manifeste ; il n’en était pas de même au dixième. Est-ce la foi de Byzance qui, ainsi qu’on l’a dit, a momifié l’Orient, ou le génie oriental qui a pétrifié l’orthodoxie grecque ? Est-ce bien l’Église qui a entravé la civilisation du Russe, du Bulgare et du Serbe ?

  1. Les Russes ont même tenté de nouer des relations en Afrique avec l’antique Église jacobite d’Abyssinie.