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tins, ils se sont bornés à en conserver le dépôt, ils ne lui ont, d’aucune façon, donné l’empreinte de l’esprit slave. Ils n’ont eu ni leur Luther, ni leur Réforme. Ni les Bogomiles bulgares du moyen Age, ni les Raskolniks russes de nos jours n’en sont l’équivalent. Pour trouver un mouvement religieux que l’on puisse appeler slave, il faut sortir du monde orthodoxe et aller à Jean Huss, chez les Bohèmes catholiques. Elle a eu beau s’allier intimement à la nationalité russe, et devenir, pour le peuple, vraiment nationale, la foi orthodoxe n’en est pas moins demeurée grecque. Il n’a point suffi d’en traduire en slavon le Credo et le rituel pour leur enlever le caractère hellénique.

Grecque par ses origines et son esprit, slave par la majorité de ses adhérents, l’orthodoxie orientale a, grâce aux Russes, franchi dès longtemps ses vieilles limites historiques. Sans être, comme l’Église latine, devenue vraiment universelle, elle déborde au delà de son aire primitive. Elle n’est pas plus confinée dans une race que dans un État. De même que le catholicisme et le protestantisme, l’orthodoxie compte des fidèles parmi des nations de toute race : en Europe, les Hellènes, les Roumains, des Slaves croisés de divers éléments, des Albanais, et, au milieu même des Russes, des tribus finnoises à demi russifiées ; — à l’entrée de l’Asie, les Géorgiens ; en Syrie ou en Égypte, des Arabes ou des Sémites ; au cœur de la Sibérie, des peuples d’origine turque ou mongole convertis par leurs maîtres ; et, plus loin, les Aléoutes, qui relient le Nouveau Monde à l’Ancien. Elle a des prosélytes jusque dans l’Amérique du Nord ; en abandonnant l’Alaska aux États-Unis, les Russes y ont laissé un évêque orthodoxe. Grâce à la Russie, l’Église orientale a des missions en Chine et au Japon ; un évêque russe réside à Tokio et il a sous sa direction un clergé indigène déjà nombreux. De la mer Noire au Pacifique, l’Église orientale prend l’Asie à revers ; si le christianisme s’empare jamais de ces vieilles contrées, il est probable que la propagande religieuse et politique