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s’en repentir. De toutes les régions de l’empire, c’est celle où l’ancienne loi et la nouvelle font le moins mauvais ménage. Les émeutes contre les Juifs y ont été rares, et, à Varsovie même, elles semblent avoir été provoquées par des étrangers. Les « Polonais du rit mosaïque » se sont montrés reconnaissants à leurs compatriotes catholiques de leur émancipation civile. Ils ont même, à certaines heures, témoigné d’une sorte de patriotisme polonais, d’autant plus méritoire qu’il s’adressait à une cause vaincue. Les Russes, qui accusent le Juif d’être incapable de s’attacher à une patrie, se sont parfois plaints de cette tendance des Israélites de la Vistule à sympathiser avec les Polonais. Que la Russie les traite en Russes, et les Juifs de la Duna et du Dnieper deviendront, peu à peu, des Russes du rit mosaïque. À Pétersbourg, à Odessa, à Vilna même, beaucoup sont déjà russifiés. Une fois l’égal du chrétien, le Juif se rapprocherait d’autant plus volontiers des Russes qu’il a tout intérêt à se concilier les maîtres de l’empire ; et la voix de l’intérêt est de celles qu’entend le Sémite.

Le plus grand obstacle à l’assimilation des Israélites, c’est, nous ne saurions trop le répéter, les lois d’exception. Cette barrière renversée, les autres s’abaisseraient peu à peu d’elles-mêmes. Ce n’est point qu’on doive, de longtemps, attendre la fusion des Israélites et des chrétiens. La fusion, si elle est jamais complète, demandera des siècles. Les rivalités, les jalousies persisteront fatalement encore durant des générations, car il n’y a pas de procédé pour soustraire les États aux compétitions de races, de religions, de classes ; plus vaste est un empire, plus il y est exposé par ses dimensions mêmes. Mais les conflits seront moins violents lorsque les chrétiens auront appris à traiter chrétiennement les Juifs. Le rapprochement sera plus aisé quand la loi n’y mettra pas d’obstacles artificiels.

£n Russie, tout comme en France, il n’y a pas d’autre solution que la liberté et l’égalité civiles. Les Russes n’ont pas la ressource, comme autrefois l’Espagne, d’expulser