Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/651

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cantonistes. Les premiers soldats levés parmi les Israélites étaient des enfants de dix ans, arrachés, pour jamais, à leur famille et baptisés de force. Naguère encore, l’armée était une école de prosélytisme. Il ne faut pas oublier enfin qu’aux Juifs tout avancement est refusé. Ils ne peuvent devenir officiers ; les règlements ont soin de leur interdire l’accès des écoles militaires. Le soldat juif qui a servi des années sous les aigles impériales n’a même pas le droit, une fois libéré, de vivre et de mourir là où il a tenu garnison.

Les conscrits de la classe de 1886 étaient au nombre de 832,000, dont 45,000 Israélites, de quoi former tout un corps d’armée. Il y a eu parmi eux un peu plus de 4,000 réfractaires, soit environ 10 pour 100. La proportion était autrefois beaucoup plus considérable, elle montait jusqu’à 30 et 40 pour 100. Pour obvier aux répugnances militaires des Israélites et empêcher que les chrétiens n’en fussent indirectement victimes, un oukaze de 1876 a ordonné que les jeunes gens reconnus impropres au service ou faisant défaut seraient remplacés par des jeunes gens du même culte. Cette solidarité confessionnelle a semblé insuffisante. Depuis 1886, les familles des réfractaires israélites sont, en outre, condamnées à des amendes considérables. Pour la classe 1886, ces amendes ont monté à 1,200,000 roubles, soit 3 ou 4 millions de francs. Cet expédient semble n’avoir pas été inefficace ; en 1887, dans les provinces de Mohilef et de Minsk, la proportion des réfractaires israélites était tombée de 68 et 60 pour 100 à 5 et à 16 pour 100. Ce procédé n’en a pas moins le défaut d’être encore une mesure d’exception, spéciale aux Juifs. Or ce n’est point par des lois d’exception que la Russie résoudra la question sémitique.

Le royaume de Pologne en fournirait une preuve. Une loi de 1864, alors que la Pologne avait encore une administration autonome, a assimilé les Juifs aux autres habitants du pays. Les provinces de la Vistule n’ont pas eu à