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server la sainte Russie de la lèpre israélite. Considérant le Juif comme une peste, on l’a enfermé dans les provinces occidentales comme dans un lazaret.

En dedans même du cercle où ils sont cantonnés, il y a des contrées ou des villes que les Juifs ne peuvent habiter. C’est ainsi que, depuis 1858, il leur est défendu de résider à moins de 50 verstes des frontières de l’Autriche ou de la Prusse. Cette interdiction, suggérée par la crainte de la contrebande, n’a pu longtemps être maintenue dans la pratique, mais elle existe toujours en droit, et parfois la loi est appliquée avec une rigueur d’autant plus cruelle que les dispositions en semblaient tombées en désuétude. Il est des pays où, après avoir laissé les Juifs s’établir dans cette bande frontière, on les en a brusquement bannis par ordonnance administrative. Ainsi en Volhynie, en 1881 : l’expulsion ruinait des milliers de familles ; elle ne fut pas complète. Les pauvres furent impitoyablement chassés ; les riches se rachetèrent. Il en est naturellement des Juifs comme naguère des raskolniks : les mesures d’exception en ont fait les tributaires de la police. Israël est, pour l’ispravnik ou le stanovoï, une proie sans défense. Les lois restrictives forment un réseau inextricable, aux mailles si serrées que le Juif qui en est enveloppé ne peut guère se mouvoir sans en déchirer une. Le plus habile n’est jamais sûr d’être en règle avec la loi ; la police a toujours barres sur lui. Cela est si vrai qu’un des obstacles à l’émancipation des Israélites est l’intérêt des tchinovniks et de toute l’administration à les tenir ainsi dans le filet de la loi.

Au cœur même de la région assignée aux Sémites, la métropole de la Russie occidentale, Kief, la ville sainte du Dnieper, revendique le privilège d’être fermée à « ces chiens de Juifs ». Il n’y a que les Israélites de certaines catégories qui puissent y résider : encore ne doivent-ils habiter qu’un faubourg. Les controverses légales suscitées par la présence des Juifs à Kief rempliraient plusieurs volumes. Il y a quelques années, durant un de mes voyages en Russie, un banquier