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jan comptant au moins dix adultes mâles, car chez les Juifs, comme chez les musulmans, la religion ou, mieux, la dévotion, semble plus grande parmi les hommes que parmi les femmes. Les membres de chaque minjan se réunissent avec les instruments de la prière, les tephilim ou les taleth, trois fois par jour. L’été, les plus zélés s’assemblent dès l’aurore, à deux ou trois heures du matin, pour la première prière. Chaque chevra ou association a son maggid, son lecteur, qu’elle entretient à ses frais. Il y a un grand nombre de ces docteurs de divers degrés, maggid, rav, talmid, dont beaucoup, comme parfois les rabbins eux-mêmes, vivent du travail de leurs mains. Les rabbins sortis d’écoles officielles, nommés ou confirmés par le gouvernement, inspirent souvent peu de confiance. Les Juifs les plus fanatiques, les kabbalistes, ou khassidim, ont, en outre, leurs zadigs, sorte de marabouts israélites, qu’ils entourent d’une vénération superstitieuse et que leur crédulité enrichit de ses dons[1].

La vie juive, avec sa culture à part, issue de vingt siècles d’isolement, fleurit ainsi dans les neiges du Nord, protégée contre les influences du dehors par les antipathies et les dédains mêmes des Gentils. À côté du moyen âge chrétien, et mieux préservé encore, se retrouve, en Russie, une sorte de moyen âge juif, tout imbu des traditions et des coutumes des vieux ghettos. Cette vie more judaïco, à la façon des aïeux dont ils ont laissé les os à l’orient et à l’occident, ces trois ou quatre millions d’Israélites la mènent librement, sous l’aigle noire moscovite, comme autrefois sous i’aigle blanche de Pologne. Ils ont leurs cimetières et leurs synagogues qui rivalisent de grandeur et de richesse avec les cathédrales orthodoxes ; ils ont leurs boucheries pour la viande kocher ; ils ont leurs bains pour se

  1. Nous ne pouvons parler ici des karaïm, ou Juifs non talmudistes ; dont il ne reste que quelques milliers, habitant pour la plupart la Crimée. Les karaïm se distinguent des autres Juifs par toutes leurs habitudes ; ils sont beaucoup mieux vus des chrétiens ou des musulmans ; ils sont aussi mieux traités par la législation russe.