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ciser. Faire de l’Église un instrument de russification, ce serait mettre la foi polonaise à une dure épreuve[1].

Aux exigences de la bureaucratie pétersbourgeoise, la plupart des catholiques peuvent objecter que le gouvernement, qui veut les faire prier en russe, ne les traite pas lui-même en Russes. Les catholiques polonais des provinces occidentales sont soumis à des lois d’exception, qui tombent dès qu’ils abandonnent la foi romaine. Ce sont ces Polonais, frappés officiellement comme étrangers, qu’on prétend astreindre à ne parler à Dieu que dans la langue du tsar. Il y a là un manque de logique. Si l’on veut nous traiter en Russes, qu’on commence, peuvent-ils dire, par nous relever des incapacités civiles qui pèsent sur nous. Or le gouvernement d’Alexandre III a fait tout l’opposé. Alexandre II avait enlevé aux catholiques polonais des provinces occidentales le droit d’acheter des terres ou d’en louer à bail. Ces lois de son père, qui n’avaient profilé qu’aux Allemands, Alexandre III, au lieu de les adoucir, les a aggravées par l’oukaze de décembre 1884. Dans toute la Russie occidentale, pour pouvoir acquérir un immeuble rural par vente, legs ou donation, il faut être Russe, et n’est considéré comme Russe que l’orthodoxe.

Ce que garantit à ses sujets tout gouvernement moderne, l’égalité civile et le libre accès aux emplois publics, les catholiques, comme les juifs, en sont privés, en fait, sinon en droit. Là où la porte ne leur est pas fermée, ils ne franchissent guère les degrés inférieurs de la bureaucratie. Bien peu parviennent à s’élever. Si un catholique comme M. de Mohrenheim est nommé ambassadeur, il est d’origine étrangère. En certains ressorts, dans le plus important au point de vue religieux, dans l’instruction publique, l’ex-

  1. Dans les campagnes de Lithuanie, le clergé ne fait pas difficulté de se servir de la langue locale, le samogitien. Le gouvernement s’est contenté de russifier l’alphabet. Les livres de messe en samogitien étaient imprimés en caractères latins, le gouvernement en a fait imprimer en caractères cyrilliques ; inconnus de la population à laquelle il en imposait l’usage.