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quelque mille ans ; mais, en dépit du calendrier, mainte contrée des deux versants de l’Oural en est toujours au neuvième ou dixième siècle. Pour nombre de tribus ouralo-altaïques, la civilisation européenne n’a guère d’autre porte que le christianisme. Aussi, tout en réprouvant toute atteinte à la liberté de conscience, nous ne saurions nous scandaliser de voir la Russie encourager la diffusion de l’Évangile. Mais le prosélytisme russe ne se borne pas à cela ; il ne s’en prend pas seulement au paganisme inculte ni même aux religions déjà cultivées, à l’islamisme, au bouddhisme ; il s’attaque avec non moins d’ardeur au judaïsme, au protestantisme, au catholicisme. C’est même dans ses campagnes contre les autres Églises chrétiennes, là où la civilisation n’a rien à gagner, que la propagande orthodoxe s’exerce avec le plus de passion.

Un évéque russe a dit : Nos cloisons confessionnelles ne montent pas jusqu’au ciel. Ce n’est point de cette maxime que s’inspirent les maîtres de la Russie. Il est vrai que leur zèle orthodoxe s’inquiète moins du ciel que de la terre. C’est par politique que les tsars refusent de laisser chacun faire son salut par le chemin qui lui plaît. Les Russes ont pour aller au paradis une route impériale, large, unie, bien sablée, une « chaussée » tirée au cordeau et passée au rouleau, bordée de fossés profonds et de hautes palissades de façon que, une fois entré, on ne s’en puisse écarter. Il reste bien des chemins parallèles, officiellement classés ; mais ils sont mal entretenus, ravinés, à demi défoncés ; on n’en permet l’usage qu’aux riverains. Tels sont, comparés à l’Église dominante, les cultes étrangers.