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L’Alliance Évangélique avait fait remettre à l’empereur Alexandre III une pétition où les protestants d’Occident sollicitaient, pour toutes les confessions chrétiennes, une égale et entière liberté. Alexandre III transmit cette requête à son ancien précepteur, et M. Pobédonostsef y répondit, en 1888, par une lettre publique au président du comité suisse de l’Alliance, M. Naville[1]. « Nulle part en Europe, affirmait le haut-procureur du Saint-Synode, les confessions hétérodoxes ne jouissent d’une liberté aussi parfaite qu’au sein du peuple russe. L’Europe persiste à ne pas le reconnaître. Pourquoi ? Uniquement parce que, chez vous, la liberté des cultes, telle qu’elle est inscrite dans les lois, est unie au droit absolu d’une propagande illimitée. Voilà la cause première de vos récriminations contre nos lois restrictives à l’égard de ceux qui détournent les fidèles de l’orthodoxie et de ceux qui abjurent notre foi. » Ces lois, selon le haut-procureur, n’ont d’autre but que de sauvegarder l’Église nationale contre les attaques de ses adversaires. Laissant de côté la question abstraite du droit de prosélytisme, il soutenait que, « la Russie ayant puisé son principe vital dans la foi orthodoxe, écarter de l’Église orthodoxe tout ce qui pourrait menacer sa sécurité est le devoir sacré que l’histoire a légué à la Russie, devoir qui est devenu la condition essentielle de son existence nationale. En Russie, concluait M. Pobédonostsef, les confessions de l’Occident, loin de s’être affranchies de leurs prétentions dominatrices, sont toujours prêtes à s’attaquer non seulement à la puissance, mais à l’unité de notre patrie. La Russie ne peut admettre la liberté de leur propagande ; jamais elle ne permettra d’enlever à l’Église orthodoxe ses enfants pour les enrôler dans des confessions étrangères. Elle le déclare ouvertement dans ses lois et s’en remet à la justice de Celui qui seul régit les destinées des empires. »

  1. Cette lettre a été insérée dans une feuille ecclésiastique, les Tserkovnye Vedomosti (février 1888) et dans le Journal de Saint-Pétersbourg (17, 29 février), ce qui lui donne un caractère doublement officiel.