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Ce n’est point assez de retenir dans l’enceinte de l’orthodoxie les Russes qui y sont nés, il importe de ne pas laisser grossir, par des conversions, les cultes dissidents et, par suite, les nationalités qui excitent les défiances du patriotisme moscovite. De là une autre mesure générale. Les dissidents ne peuvent faire de prosélytes les uns chez les autres. Le monopole de l’Église orthodoxe, en fait de propagande, n’admet pas de concurrence. L’empire est un champ dont la culture religieuse lui est réservée ; elle seule a le droit d’y semer l’Évangile. Juifs, mahométans, païens ne doivent entrer dans le christianisme que par la porte officielle. On compte, ainsi, en faire des Russes, en même temps que des chrétiens. Le juif de Lithuanie, qui vit au milieu de catholiques, ne peut embrasser leur foi ; le musulman qui, dans la Transcaucasie, vit à côté de l’arménien, ne peut recevoir de lui le baptême sans une instance auprès du ministre de l’intérieur, qui, dans sa décision, ne consulte que le bien de l’empire. Pour instruire un infidèle dans leurs croyances, il faut au catholique ou au protestant une permission impériale, spéciale pour chaque cas. Cette législation aboutit à des prescriptions bizarres. Dans le Transcaucase, les arméniens sont autorisés à baptiser les musulmans assez malades pour que la mort semble certaine, la conversion, en cas de guérison, restant soumise à la confirmation du gouverneur.

Telles sont les lois russes. Peut-on dire qu’elles respeclent la liberté de conscience ? L’homme qui ne peut changer de religion possède-t-il la liberté religieuse ? Qu’est-ce que cette liberté qui n’est pas celle du choix, et se sent-il libre le prêtre ou le croyant qui n’a pas le droit de répandre ses croyances ? Pétersbourg pose en principe que la liberté du prosélytisme n’est pas nécessaire au libre exercice du culte. Cela a été réduit en formule. Un homme qui a le courage de ses idées, M. Pobédonostsef, a donné à l’Europe la théorie officielle de la liberté russe.