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d’une nation, en extraire, pour ainsi parler, la vertu sociale en faire sortir le règne de l’humaine fraternité et de la paix divine : heureux le peuple qui s’attribuerait une telle mission, et mal inspiré qui l’en découragerait ! Mais prenons garde à la vieille utopie millénaire. La terre ne sera jamais un paradis. Sa vision de justice et d’amour, le Russe ne la verra jamais pleinement réalisée. Cela ne saurait être donné à des êtres de chair et de sang.

Quelques Russes, enhardis par leurs sectes rationalistes, semblent croire que la vocation de la Russie est de sauver le christianisme en en abandonnant les formes et les dogmes. Encore une illusion que l’expérience risque de mettre en pièces. Garder du christianisme l’esprit, l’essence divine : la morale et la charité ; sublimer en quelque sorte l’Évangile, d’autres ont fait ce rêve avant le Slave-Russe. Séparer, dans la religion, l’âme du corps, laisser périr l’un en faisant vivre l’autre, je ne sais s’il est entreprise plus téméraire. Un homme y réussira, une génération, peut-être ; un peuple, non. Le flacon brisé, que restera-t-il du parfum une fois évaporé ?