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velles formes sociales ; mais est-ce la seule nation travaillée de ce besoin de renouveau ? et quand l’humanité entière le ressentirait, serait-ce bien une raison pour qu’il fût à la veille d’être satisfait ? La parole de vie que réclame impatiemment le monde moderne, le ciel peut tarder longtemps à la lui faire entendre.

Cette parole suprême, dont l’humanité lasse a soif, est-elle encore à dire ? Et si elle a été dite, il y a quelque deux mille ans, n’a-t-elle pas été commentée de tant de façons qu’il est malaisé d’en tirer un sens nouveau ? La Russie peut-elle prétendre, comme Tolstoï et Soulaïef, que jusqu’à elle le christianisme est demeuré incompris ? Peut-elle seulement se flatter de lui rendre sa jeunesse, ou va-t-elle, après dix siècles, lui trouver une forme nationale en dehors des vieux moules traditionnels ? Cela même est malaisé.

Une ambition reste permise à ce peuple de foi, c’est moins d’inventer un nouveau type de christianisme que de s’approprier l’esprit évangélique. C’est par là surtout que la Russie pourrait être originale, par là qu’elle pourrait surprendre notre Occident vieilli en train de redevenir païen. Ainsi le comprennent d’instinct nombre de ses réformateurs lettrés ou illettrés ; presque tous ont moins de souci du dogme que des vertus évangéliques. Leur idéal, souvent inconscient, est l’application de la morale du Christ à la vie publique non moins qu’à la vie privée, aux rapports entre les groupes humains et les peuples, aussi bien qu’aux rapports entre les individus. Les questions sociales ou politiques, les questions internationales mêmes, ces croyants voudraient les résoudre par la charité et la mansuétude. Ce qu’ailleurs ont vainement rêvé des saints ou des sages, ce qu’ont en vain tenté des rois et des inquisiteurs à l’aide du chevalet et du bûcher : bâtir un État chrétien, ce peuple chrétien n’en désespère point, et, pour y réussir, il ne compte que sur l’amour. Ne raillons point sa jeunesse. Faire passer l’Évangile dans la vie