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plète, le droit de créer des fondations, de doter les églises et le clergé. Or la loi russe ne reconnaît la personnalité civile à aucune institution des dissidents ; par suite, aucune disposition en faveur de leurs églises n’est valable. C’est ainsi que, en 1887, les tribunaux ont cassé le testament d’un marchand, du nom de Tchoubykine, qui avait légué au cimetière de Gromof, propriété des popovtsy de Pétersbourg, plusieurs centaines de milliers de roubles pour la construction d’un hospice. Si, malgré ces restrictions légales, les raskolniks ont leurs oratoires et leurs hospices, c’est qu’ils usent de procédés analogues à ceux employés, en pareil cas, par les congrégations religieuses en France ou en Italie. Les biens-fonds des communautés dissidentes sont inscrits au nom de quatre ou cinq personnes formant une sorte de syndicat. En cas de décès d’un des associés, les survivants élisent un de leurs coreligionnaires pour le remplacer. De cette façon, les raskolniks de différentes dénominations se sont transmis des propriétés parfois considérables. Il faut dire à son honneur que, à l’inverse de certains démocrates français vis-à-vis des congrégations catholiques, le gouvernement autocratique n’a jamais songé à édicter des lois inquisitoriales pour empêcher les communautés dissidentes de subvenir à leurs œuvres de piété et de charité.


Si nous demandons la liberté pour le vieux raskol et pour les troubles hérésies du moujik, ce n’est point que de leur libre développement nous attendions ni renaissance religieuse, ni rénovation sociale. De cette broussaille de sectes, enchevêtrées comme des ronces, rien n’annonce qu’il doive sortir un arbre de haute tige, aux branches assez larges pour abriter un monde.

La Russie, il est vrai, nous apparaît comme un laboratoire d’idées religieuses, aussi bien que de réformes sociales. Pourquoi ne s’élaborerait-il pas, dans la cervelle ou dans le cœur de ses rustiques prophètes, un moderne