En Russie, de même que dans le reste de l’Europe, l’ère de l’unanimité morale est passée pour ne plus jamais revenir peut-être. La religion a cessé de « relier » toutes les âmes ; elle a perdu son sens étymologique ; elle n’enveloppe plus les intelligences d’une atmosphère commune. Ici se montre un des contrastes que l’on retrouve partout en Russie. Ici se manifeste le dualisme qui, depuis Pierre le Grand, coupe la nation en deux. Nulle part la religion n’a une telle influence ; nulle part elle n’en a si peu. Tandis que le gros de la nation est demeuré sous son empire, des classes presque entières se vantent d’en avoir secoué le joug. Cette seule opposition expliquerait comment l’action du christianisme et l’importance de la religion sont jugées d’une manière si diverse.
À cet égard, les classes cultivées, « l’intelligence », comme on dit là-bas, et le peuple, les deux Russies superposées et presque étrangères l’une à l’autre, semblent appartenir à deux âges différents, sans qu’aucune d’elles peut-être soit tout à fait notre contemporaine. Si l’une nous