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sachant se garder et prompts à surprendre l’adversaire en défaut, difficiles à toucher, tantôt opposant la lettre de l’Écriture, tantôt la réduisant en allégories. Aussi les champions de l’orthodoxie ne sortent-ils pas toujours vainqueurs de ces passes d’armes dont chaque parti aime à s’attribuer l’honneur. Plus d’une fois, un pope présomptueux a été réduit au silence par les liseurs du raskol. Aussi, d’ordinaire, ne laisse-t-on entrer en lice que les athlètes qui ont fait leurs preuves.

Les défenseurs des vieux rites combattent pourtant à armes inégales. On a beau, pour ces rencontres, leur donner une sorte de sauf-conduit, ils se sentent gênés, ils n’ont pas la libre disposition de leurs bras. Ils n’osent toujours exprimer toute leur pensée. Ainsi, il leur est malaisé de dire que l’Antéchrist est le tsar ou le pouvoir civil. Ils ne peuvent répondre à leurs adversaires que ce que leurs adversaires veulent bien entendre. La dispute menace-t-elle de mal tourner, les orthodoxes qui, d’habitude, président au colloque, lèvent la séance. Les dissidents ont-ils l’avantage, les vexations de la police risquent de le leur faire payer. Quelquefois les missionnaires de l’Église ne trouvent pas de contradicteurs. À Pétersbourg même, on a vu des dissidents se lever pour leur répondre, et se rasseoir sur l’invitation d’un coreligionnaire qui craignait qu’on ne les expulsât de la capitale[1]. Un journal, le Golos Moskvy, s’était permis de donner le compte rendu sténographique de ces débats ; on l’a supprimé. Après cela, on comprend que les chefs du raskol se soucient peu d’y prendre part. Le simple peuple n’y assiste même parfois que sur l’invitation des autorités. Dans les campagnes, les missionnaires convoquent trop souvent les raskolniks sur un ton de commandement, enjoignant aux anciens de village de leur préparer un local[2], donnant eux-

  1. Vestnik Evropy, mars 1888, p. 363.
  2. Voir, par exemple, le Vestnik Evropy, février 1887, p. 836.