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infligés aux raskolniks, sur les instances du clergé. Le concile de 1666 réclamait contre eux les pénalités civiles. Le patriarche Joachim n’hésitait pas à déclarer, en 1682, à l’un des martyrs de la vieille foi, au pied du bûcher, que les flammes allaient s’allumer pour venger l’Église du reproche d’hérésie. « Quels apôtres ont enseigné à maintenir la foi par le feu, par le knout, par la potence ? » demandait, dans son autobiographie, le protopope Avvakoum. On lui répondit en le brûlant. Si Pierre le Grand remplaça les supplices par des mesures fiscales ; si, au souffle de l’Occident, ses héritiers se sont peu à peu montrés plus tolérants, le mérite en revient surtout aux souverains, à l’intelligence d’une Catherine II, au cœur des trois Alexandre.

Que le clergé ait, contre ses adversaires, recouru à la prison, aux amendes, à la déportation, à la privation des droits civils, rien de surprenant. L’Église étant une institution d’État, il était naturel qu’elle combattît le schisme avec les forces et les armes de l’État. L’administration et la police étaient les auxiliaires indiqués du clergé. Encore aujourd’hui, l’ingérence du pouvoir civil dans les affaires spirituelles est consacrée par plus de mille articles des codes russes. Pour garder son troupeau, le pope s’en remettait à la police, qui, « par force, à coups de fouet, ramenait au bercail les brebis égarées[1] ». Et comme la police n’avait en ces affaires qu’un intérêt de service, comme elle s’en prenait aux corps et non aux cœurs, la guerre faite au raskol était presque toute extérieure. Selon une remarque d’Aksakof, dans les choses de l’Église, comme dans les autres, ce qu’on tenait à garder, c’était surtout l’apparence, le décorum[2]. Au pope, comme à

  1. Œuvres d’Ivan Aksakof, t. IV, p. 91, 92. Ailleurs, dans une lettre encore inédite, le célèbre slavophile écrivait à son père (30 octobre 1850) : « La Russie sera bientôt partagée en deux moitiés : du côté du monde officiel (kazny), du gouvernement, de la noblesse incrédule et du clergé qui détourne de la foi, sera l’orthodoxie ; tout le reste embrassera le raskol. Ceux qui prendront la vziatka (le bakchich) seront orthodoxes, ceux qui la donneront seront raskolniks ».
  2. Œuvres d’Ivan Aksakof, t. IV, p. 42.