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l’amas des compromis mondains. Il a lu le Sermon sur la montagne et il a vu que le fondement de la foi chrétienne, c’est de ne pas résister aux méchants. Ces conseils, d’une sublimité déconcertante pour la nature humaine, Rome et Byzance n’osaient en recommander la mise en pratique qu’à l’ombre des cloîtres, aux exilés volontaires du siècle ; le Russe l’impose à chaque chrétien. C’est en eux qu’il fait consister tout le christianisme. La clef de la doctrine, c’est la parole de saint Mathieu : « Il a été dit : œil pour œil et dent pour dent ; et moi je vous dis de ne point résister au mal qu’on veut vous faire ». Ne pas résister aux méchants, tel est le « pivot » de l’enseignement de Jésus, « le centre » de sa doctrine. Tendre l’autre joue, voilà le précepte essentiel, la règle positive prescrite par le Maître. Après cela, est-il possible de se dire chrétien et d’avoir une police et des prisons ? Est-il possible de confesser Jésus-Christ et, en même temps, de « travailler avec préméditation à l’organisation de la propriété, des tribunaux, de l’État, des armées ? d’organiser en un mot une existence contraire à la doctrine de Jésus » ? Jésus a dit : Ne jurez pas, et Tolstoï, appuyé sur le texte grec, prouve que cette prohibition ne peut avoir qu’un sens : N’ayez pas de tribunaux. Jésus a dit : Ne tuez pas ; et cela ne peut s’entendre que d’une manière : N’ayez pas d’armée, ne faites point la guerre. Jésus a dit : Ne jurez pas ; et cela signifie : Ne prêtez serment ni aux tribunaux ni au tsar. Ainsi de suite de tous les conseils évangéliques, érigés en préceptes absolus, en nouveau décalogue imposé aux peuples non moins qu’aux individus. Le mystérieux parrain du Filleul lui apprend qu’on ne détruit pas le mal par la justice, par la prison ou la mort ; que le mal se multiplie par le mal ; que plus les hommes le poursuivent, plus ils l’accroissent. Ivan l’imbécile nous fait voir qu’une nation qui ne se défend pas n’a rien à craindre de ses voisins. Pour désarmer les envahisseurs, le peuple envahi n’a qu’à tout leur livrer. Que le Russe se tienne en paix, ni le Turc ni l’Allemand ne le molesteront.