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nombre des mariages, qui rapportent non moins au cabaret qu’à l’Église.

Un peuple accessible à de telles fables l’est davantage encore aux mystifications couvertes d’un voile de piété ou parées d’une auréole surnaturelle. Dans ce même gouvernement de Pskof, à une ou deux années de distance, cette effrontée supercherie mercantile avait pour pendant une impudente escroquerie religieuse. En 1872 on découvrait, aux environs de Pskof, une secte dont le fondateur, un moine du nom de Séraphin, échappé d’un couvent, s’adressait de préférence aux jeunes filles. On appelait ses prosélytes les rasées (strijénitsy), parce que Séraphin leur coupait les cheveux pour les vendre. Ce n’était pas seulement par cupidité que le cynique prophète abusait de la bonne foi de ses disciples ; il était accusé de prêcher le salut par le péché, sous prétexte d’accroître la gloire du Sauveur en mettant à profit ses mérites. Séraphin avait réussi à se faire la plus fantastique légende. Il passait pour invulnérable ; on le disait maître de se dérober à toutes les poursuites par de soudaines métamorphoses. De tels fourbes font comprendre les articles du code russe qui prohibent les faux prophètes et les faux miracles.

À côté des charlatans il y a les voyants. Dans un pays où le peuple ajoute encore foi aux sortilèges, où les idiots, les innocents, sont encore regardés comme des inspirés, les visionnaires sont nombreux. Chez beaucoup, l’illuminisme confine à la folie, et l’on ne saurait être surpris de voir la police enfermer comme maniaques ces messagers de Dieu. Plus d’un a passé par une maison d’aliénés ; ainsi notamment Adrien Pouchkine et son disciple Korobof. Ce Pouchkine, un marchand de Perm, trouvant la parole et l’écriture insuffisantes, exposait sa doctrine dans des peintures et des tableaux symboliques. Il avait découvert une nouvelle révélation dans le corps de l’homme et le corps de la femme, pris comme figure vivante des vérités éternelles. Il envoyait des lettres et des télégrammes aux ministres