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chrétienne ? Les sabbatistes de Russie ne sont-ils pas, comme les marranes du Portugal, les descendants de juifs jadis amenés au baptême par la violence ou l’intérêt, et qui, de génération en génération et d’une manière de plus en plus confuse, se sont secrètement transmis la foi et les rites de leurs ancêtres ? Un juge de paix du sud de la Russie, qui avait eu l’occasion d’en voir à son tribunal, nous disait que ces judaïsants lui avaient rappelé le type israélite. Ce n’est pas, semble-t-il, le cas habituel. Les soubbotnikine paraissent pas de sang sémite. Les sabbatistes cités devant notre juge de paix pour réunions clandestines semblaient eux-mêmes ignorer l’origine des traditions auxquelles ils demeuraient obstinément attachés. À toutes les questions, à toutes les objurgations du magistrat, ils faisaient la réponse ordinaire des raskolniks : C’est la foi de nos pères. Le juge ayant été contraint par la loi de leur infliger une amende, en les avertissant qu’en cas de récidive ils seraient plus sévèrement punis, les malheureux répliquèrent qu’ils ne demandaient qu’à garder les usages de leurs ancêtres ; pour cela ils étaient prêts à tout supporter.

L’existence des sectes judaïsantes n’est pas nouvelle en Russie. Ces sabbatistes, aujourd’hui perdus dans les classes inférieures, sont les derniers héritiers d’une hérésie qui, au quinzième siècle, pénétra jusque dans le haut clergé et mit en péril l’orthodoxie russe. Des juifs de Novgorod, un savant Zacharie entre autres, avaient enseigné aux chrétiens la négation de la Trinité, de la Rédemption, de la divinité du Christ. Sous leur influence, une partie du clergé de Novgorod avait ramené le christianisme, ainsi simplifié, à une sorte de judaïsme. On voit que les tendances rationalistes ne sont pas nouvelles en Russie. Ivan III en avait transporté le germe de Novgorod à Moscou, en transférant les prêtres Denys et Alexis de l’ancienne république dans la capitale des tsars. Un moment, les judaïsants furent assez puissants pour élever un des leurs, le métropolite Zosime, à la chaire suprême de l’Église. Ils ne purent cepen-