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milles. De leur ancienne organisation ils n’ont guère conservé qu’un magasin communal où chaque ménage doit verser, au profit des indigents, la dixième partie de ses récolles. Ces communistes, qui ont cessé de l’être, ne se trouvent plus qu’au Transcaucase, au village de Nikolaîevka.

Popof est loin d’avoir été le seul apôtre du communisme dans les campagnes russes. La forêt ou la steppe ont mainte fois entendu annoncer le même évangile. Vers la fin du règne d’Alexandre II, un prophète, nommé Grigorief, prêchait aux molokanes des environs de Samara la communauté des femmes avec la communauté des biens, sous prétexte que, le Christ ayant émancipé l’homme, le vrai chrétien doit user de tout en liberté, et de l’amour comme du reste[1]. Les penchants communistes se sont fait jour chez des sectaires de différente origine. Ainsi chez les errants : les mots « tien » et « mien » sont maudits, disait leur prophète Eugène. Ainsi chez les chalopoutes, variété de khlysty qui, vers 1860 et 1870, ont tenté d’appliquer à certains villages la doctrine de la communauté. En dehors des sectes où le communisme a été formellement prêché, beaucoup de skytes de raskolniks ont été de véritables phalanstères, où les frères vivaient en égaux, travaillant en commun et partageant le produit de leur travail. C’est qu’en effet, si le communisme n’est pas une pure utopie, il ne saurait être mis en pratique, même partiellement, qu’à l’aide d’une discipline religieuse et du lien de la charité. Le communisme religieux est le seul qui ait quelque chance de durée, non seulement parce qu’il a pour règle la foi et pour fondement l’amour, mais parce qu’il a pour principe moins la convoitise des biens de ce monde que le renoncement aux biens de ce monde ; parce que ce sont moins les pauvres qui veulent usurper les biens des riches, que les riches qui veulent partager avec les pauvres.

  1. Mackenzie Wallace, Russia, 2e édit., t. I, p. 456.