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vices auxiliaires. Se soumettent-ils, dans la pratique, aux lois et aux autorités, les molokanes les nient souvent encore en théorie. Non contents de ne pas reconnaître l’empereur comme l’oint du Seigneur, ils contestent l’utilité de l’institution monarchique, s’appuyant sur les objections de Samuel contre la royauté de Saûl. Avec le pouvoir impérial ils rejettent les distinctions de classes, les grades et les titres, comme contraires à l’Évangile[1]. Si, en dépit de ces maximes révolutionnaires, ils vivent paisiblement sous l’autorité des pouvoirs qu’ils nient en droit, on les a soupçonnés de ne se résigner à l’obéissance que par nécessité, jusqu’au moment où les vrais chrétiens seront assez forts pour secouer le joug des enfants du siècle et établir le règne des saints.

Comme la plupart des sectaires russes, les molokanes ont des ambitions apocalyptiques. Leur rationalisme ne les a pas défendus des espérances millénaires. Ils ont, eux aussi, leurs songes de prochaine rénovation de la terre, ils attendent, sous le nom d’empire de l’Ararat, le règne universel de la justice et de l’égalité. On raconte qu’en 1812 les Cosaques arrêtèrent une députation de molokanes ou de doukhobortses du sud, chargés d’aller demander à Napoléon s’il n’était pas le libérateur annoncé par les prophètes.

De ces buveurs de lait est sorti un groupe de sectaires qui n’ont pas voulu attendre l’établissement de l’empire de l’Ararat pour mettre en pratique leurs rêves de transformation sociale. Comme ils prêchaient la communauté des biens, ils ont été appelés obchtchié, ce qu’on ne saurait guère traduire que par communistes. À leur tête était un certain Popof qui commença son apostolat, vers 1825, en distribuant ses biens aux pauvres. Des villages entiers du gouvernement de Samara adoptèrent cette doctrine, moins dure sans doute à des oreilles russes qu’à des oreilles françaises.

  1. Kostomarof ; Otetch, Zapiski, mars 1869.