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que l’âme, image de Dieu, ne doit habiter qu’un corps sain.

Certains de ces paysans ont poussé leurs spéculations jusqu’à ne plus reconnaître à Dieu qu’une existence subjective et à l’identifier à l’homme. Dieu, disent-ils, est esprit, il est en nous, nous sommes Dieu. De même que les khlysty, les doukhobortses s’inclinent dans leurs réunions les uns devant les autres, prétendant adorer la forme vivante de Dieu, l’homme. Le prophète Pobirokhine, un de leurs chefs du dix-huitième siècle, aurait enseigné que Dieu n’existe point par lui-même et qu’il est inséparable de l’homme. C’est aux justes, en quelque sorte, de le faire vivre. Ces moujiks prononcent ainsi, à leur manière, le fiat Deus de certains de nos philosophes. Dieu est l’homme, aiment à répéter les doukhobortses ; la Trinité divine, c’est la mémoire, la raison, la volonté. D’accord avec cette conception, ils nient la vie éternelle, le paradis et l’enfer. Le paradis doit se réaliser sur cette terre ; il n’y a pas de différence essentielle entre la vie actuelle et la vie future. L’âme humaine, au lieu de passer après la mort dans un autre monde, s’unit à un nouveau corps humain pour mener sur la terre une vie nouvelle. Les doukhobortses finissent ainsi par sortir du Christianisme. Pour eux, le Christ n’est qu’un homme vertueux. « Jésus est fils de Dieu dans le sens où nous nous appelons nous-mêmes fils de Dieu ; nos vieillards, disent-ils, en savent plus que lui. » Leur notion de l’Église est conforme à leur théologie. Suivant eux, l’Église est la réunion de tous ceux qui marchent dans la lumière et la justice, à quelque religion, à quelque nation qu’ils appartiennent, chrétiens, juifs ou musulmans.

Une pareille doctrine, dans un pareil milieu, ne pouvait recruter beaucoup d’adhérents. Aussi les doukhobortses n’ont-ils jamais été bien nombreux. Il en existe à peine quelques milliers aujourd’hui, tandis que les molokanes se comptent par centaines de mille. L’enseignement des